Le 17 mars dernier, lâAssemblĂ©e Nationale a adoptĂ© en premiĂšre lecture la proposition de loi Claeys/Leonetti sur la fin de vie, par 436 voix pour, 34 contre et 83 abstentions. Certes, le dĂ©bat nâest pas clĂŽt, le vote au SĂ©nat puis le dĂ©pĂŽt dâamendement Ă lâAssemblĂ©e Nationale en deuxiĂšme lecture peuvent modifier le texte qui nâa Ă©tĂ© amendĂ© quâĂ la marge. Certains dĂ©putĂ©s espĂšrent mĂȘme que lâamendement proposĂ© par Jean-Louis Touraine soit votĂ© en deuxiĂšme lecture.
Le plus probable est toutefois que ce soit le texte actuel qui soit adopté par le parlement, une belle victoire pour Jean Leonetti. Ou une victoire à la Pyrrhus ?
Quelques rares thurifĂ©raires chantent les louanges de ce texte, admirable synthĂšse. Mais entre qui et qui ? Les mouvements pro-life proclament que la sĂ©dation profonde et prolongĂ©e est une dâeuthanasie, les partisans de lâaide active Ă mourir nây trouvent pas leur compte. Tout en se rĂ©jouissant du vote, la ministre Marisol Touraine a considĂ©rĂ© ce projet comme une Ă©tape, reprenant ainsi lâaveu de François Hollande poussĂ© dans ses retranchements, par Nathalie Debernardi sur France Inter le 5 janvier dernier, concernant la position du PrĂ©sident de la RĂ©publique sur le suicide assistĂ©. Les auteurs de la proposition de loi dĂ©clarent que lâon passe dâun texte sur les devoirs des mĂ©decins Ă une ouverture de droits nouveaux pour les personnes en fin de vie. Cette dĂ©claration me rĂ©jouit, car câest effectivement ce que rĂ©clament unanimement les associations dâusagers de santĂ© rĂ©unies dans le CISS. Sur ces prĂ©mices consensuels, il nous est proposĂ© deux mesures phares : les directives anticipĂ©es contraignantes et opposables au mĂ©decin et la sĂ©dation profonde et prolongĂ©e Ă la demande du mourant. Toutefois, la proposition de loi votĂ©e en premiĂšre lecture comporte sur ces deux points des restrictions inacceptables.
Les directives anticipĂ©es peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme inadĂ©quates par le mĂ©decin qui peut alors faire appel Ă un collĂšge dâautres mĂ©decins. Cette disposition permet de contourner le caractĂšre opposable et contraignant des directives anticipĂ©esLa sĂ©dation profonde et prolongĂ©e jusquâĂ la mort nâest une rĂ©ponse quâaux souffrances de lâagonie. Elle est dĂ©jĂ pratiquĂ©e dans certains cas par des services de soins palliatifs.
La proposition de loi prĂ©voit quâelle peut ĂȘtre demandĂ©e par le patient. Mais cette demande doit ensuite ĂȘtre instruite en commission, une Ă©tape qui restreint la libertĂ© du patient. La proposition de loi traduit un manque de confiance envers celui qui est confrontĂ© Ă sa propre fin. Le refus dâune aide Ă mourir comme en a bĂ©nĂ©ficiĂ© rĂ©cemment en Oregon Britanny Maynard traduit Ă la fois une absence dâĂ©coute des citoyens et de considĂ©ration pour le soignant qui accepte le geste compassionnel demandĂ© par celui qui sait quâil va mourir. Ce manque de confiance est dâailleurs rĂ©ciproque. Ceux lĂ mĂȘme qui combattent lâaide active Ă mourir gĂšrent aujourdâhui un systĂšme de santĂ© dont tout le monde sâaccorde Ă Ă©valuer quâil ne sait pas accompagner la mort de maniĂšre acceptable. Ce constat que chacun fait quand un proche disparaĂźt alimente un profond malaise. Cette loi croupion est le signe dâun trĂšs grand dĂ©sarroi du systĂšme de santĂ©. Incontestablement dâĂ©normes progrĂšs ont Ă©tĂ© accompli sur lâamĂ©lioration des conditions de vie et de lâefficacitĂ© des soins, avancĂ©es qui se traduisent depuis 50 ans par une considĂ©rable augmentation de la durĂ©e de vie.
SimultanĂ©ment et paradoxalement les techniques permettent de prolonger la vie dans des conditions douloureuses puis les moyens mis en Ćuvre entrainent de maniĂšre beaucoup trop frĂ©quente lâobstination dĂ©raisonnable et les souffrances inutiles associĂ©es. Maintenant, le rythme des progrĂšs change et des obstacles de plus en plus forts se dĂ©veloppent et contribuent Ă limiter lâefficacitĂ© des soins. De nombreux articles dans la presse mĂ©dicale, essentiellement anglo-saxonne, sonnent lâalarme. Une transformation importante sâannonce devant les difficultĂ©s des soignants. La population exprime des besoins de plus en plus forts auxquels les mĂ©decins peinent Ă rĂ©pondre. Le mĂ©decin se retrouve trop souvent seul dans lâexercice de sa mission. Il est lui mĂȘme dĂ©sespĂ©rĂ© de ne pas supprimer chez son patient la peur de la souffrance ou de la mort. Il le console en prenant sur lui des responsabilitĂ©s et des engagements quâil ne peut assumer et des pouvoirs quâil ne peut exercer. Le mĂ©decin fournit de lâaide, mais pas le salut que lui demande le malade face Ă sa mort prochaine. Les professionnels de santĂ© doivent admettre les limites de leurs capacitĂ©s et reconnaĂźtre que la maladie et la mort font partie de la condition humaine. Ils doivent rĂ©sister Ă cette grandiose ambition que personne ne peut remplir, le pouvoir de vaincre dĂ©finitivement la souffrance et la mort.
LâarrivĂ©e dâune mĂ©decine prĂ©dictive et personnalisĂ©e implique la mise en place de la coopĂ©ration soignant/soignĂ© , un processus gagnant gagnant de co-crĂ©ation de la santĂ© avec deux experts, le mĂ©decin et le patient, qui interagissent au mĂȘme niveau hiĂ©rarchique, mais avec des compĂ©tences distinctes. Câest une nĂ©cessitĂ© pour amĂ©liorer lâefficience du systĂšme de santĂ©. En effet, les prescriptions sont trop peu observĂ©es, 50% en moyenne, une mesure objective de lâinefficience dâun systĂšme qui a par ailleurs dĂ©montrĂ© son efficacitĂ© en reculant lâarrivĂ©e de la mort. Pour la fin de vie, la coopĂ©ration soignant/soignĂ© est encore plus importante. Il est indispensable quâune confiance sâĂ©tablisse, dans une relation « hiĂ©rarchique » de soignant Ă soignĂ© qui se transforme en une relation « Ă©galitaire » de personne Ă personne. Il sâagit du destin du malade, qui, face Ă la mort qui sâannonce, doit avoir la maĂźtrise du moment et de la maniĂšre. Sa volontĂ© est essentielle quand le soin ne peut plus ĂȘtre quâapaisement apportĂ© par le soignant, en cet instant unique et tragique, les derniers instants dâun ĂȘtre humain.
(Grace à Daniel Carré)